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Par Carenews INFO - Publié le 8 juillet 2025 - 09:00 - Mise à jour le 8 juillet 2025 - 10:03 - Ecrit par : Célia Szymczak
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Le mentorat, un dispositif vraiment efficace ?

Un rapport scientifique paru le 16 juin évalue les effets du mentorat, une politique publique d’égalité des chances, menée depuis 2021 à travers le financement d’associations, dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 mentor ». Les impacts sont positifs, mais restent modérés selon les auteurs. Ils formulent dix préconisations pour les améliorer.

Le mentorat est soutenu par les pouvoirs publics depuis 2021. Crédits : iStock.
Le mentorat est soutenu par les pouvoirs publics depuis 2021. Crédits : iStock.

 

Quand Lilou participe à un programme de mentorat, elle est en terminale, en « pleine formulation de ses vœux Parcoursup ». Elle est accompagnée par Louise, une étudiante en master à Sciences po Paris et mentore pour l’association De la Haute-Garonne aux grandes écoles. Les deux ont été mises en relation après que Lilou a été sélectionnée pour une bourse, versée par l’association pour rendre les études supérieures plus accessibles aux jeunes du territoire. 

Lilou a notamment présenté sa candidature à Sciences po Paris, et à cette époque, elle est « un peu perdue », venant « d’un petit lycée ». Louise l’aide « quasiment tous les soirs pendant deux ou trois semaines ». « Sans elle, je n’aurais jamais réussi les écrits », assure Lilou. Après son échec à l’oral, Louise a su « trouver les mots pour [la] réconforter ». Lilou intègre finalement un double diplôme franco-espagnol en droit. Deux ans plus tard, elles échangent toujours, alors que Lilou, dont la mère est institutrice, est « complètement perdue » pour son orientation en master.  

 

Des modalités très diverses  

 

Cette relation est un exemple parmi des milliers : 160 000 jeunes ont échangé régulièrement avec un étudiant, un actif ou un retraité bénévole en 2023 et en 2024 dans un objectif scolaire ou d’insertion. Si, dans le cas de Lilou, les effets semblent avoir été très bénéfiques, peut-on en dire autant pour tous les mentorés ? Un rapport publié le 16 juin par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) donne des éléments de réponse, à partir d’une revue de littérature ainsi que d’enquêtes qualitatives et quantitatives.  

Il s’agit de l’évaluation du plan « 1 jeune, 1 mentor », lancé par l’État en 2021. Les pouvoirs publics investissent chaque année environ 30 millions d’euros pour soutenir des associations qui mettent en relation des jeunes de 5 à 30 ans avec des mentors. Aux yeux du gouvernement, le mentorat est surtout une « politique phare (...) en faveur de l’égalité des chances », selon les mots de Marie Barsacq, la ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative : elle est ouverte à tous les jeunes, mais cible en particulier les plus fragiles. 

L’évaluation est complexe : en pratique, « le mentorat regroupe un ensemble d’activités, de formes assez diverses », explique Jérôme Gautié, professeur des universités et président du conseil scientifique d’évaluation du plan. Les relations ont une durée plus ou moins longue, avec des objectifs aussi variés que la découverte d’un métier, l’écriture d’un CV, la recherche d’un stage, l’amélioration de résultats scolaires ou la participation à des activités culturelles. Certains programmes s’adressent à tous les jeunes tandis que d’autres sont réservés à des catégories aux difficultés spécifiques, comme les jeunes les plus précaires, en situation de handicap, réfugiés ou issus de l’aide sociale à l’enfance (ASE).  

 

Le mentorat bénéficie aussi aux jeunes favorisés  

 

Sur la cible, d’abord, les objectifs ont été atteints « dans une certaine mesure », en particulier pour les plus jeunes, selon Jérôme Gautié. D’un côté, les collégiens et lycéens boursiers, les habitants des quartiers prioritaires ou les jeunes issus de l’ASE, sont surreprésentés par rapport à leur proportion dans la population générale. En revanche, les jeunes vivant dans les territoires ruraux sont insuffisamment représentés. Et les étudiants, qui représentent 32 % des mentorés, « sont des jeunes plutôt de classe moyenne, parfois de classe supérieure », poursuit l’économiste. 

Les étudiants font face à des difficultés pour leur orientation, notamment dans un système d’enseignement supérieur perçu comme de plus en plus complexe et sélectif » 

Jérôme Gautié, président du conseil scientifique d'évaluation du plan « 1 jeune, 1 mentor »

Il souligne cependant l’utilité du mentorat pour cette dernière catégorie, même s’elle n’est pas la cible principale du plan. « Ils font face à des difficultés pour leur orientation, notamment dans un système d’enseignement supérieur perçu comme de plus en plus complexe et sélectif », pointe-t-il. « En France, au cours des dernières années, les fonctions d’accompagnement à l’orientation ont vu leur place se réduire, alors que les besoins allaient croissant », précise-t-il. 

 

Des résultats difficiles à évaluer 

 

Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 mentor », l’analyse des effets du mentorat repose uniquement sur les déclarations des mentorés. 83 % d’entre eux se disent satisfaits ou très satisfaits de l’accompagnement, en particulier les plus jeunes et les plus modestes. « On est sans doute plus exigeant quand on est plus âgé ou issu de milieux sociaux plus privilégiés », note Jérôme Gautié.  

Au-delà de la satisfaction, un jeune sur deux déclare avoir atteint son objectif après six à neuf mois de relation, neuf jeunes sur dix l’ont atteint ou sont en voie de l’atteindre sur la même durée. Ce sentiment diffère selon le type d’objectif : les jeunes souhaitant améliorer leurs résultats scolaires sont plus nombreux à estimer les avoir atteints que ceux recherchant un emploi, par exemple.  

Cependant, même s’il est difficile de s’assurer de la réalité de ces déclarations, la moitié des jeunes ayant atteint leur objectif estiment qu’ils l’auraient fait sans l’accompagnement de leur mentor. Et par ailleurs, les résultats sont « peu concluants » concernant l’amélioration des compétences psychosociales, comme l’autonomie ou l’attention en classe.  

Des effets peuvent néanmoins se révéler sur d’autres plans. « D’après les enquêtes qualitatives, ces rencontres ont permis [aux mentorés] de trouver un soutien émotionnel et, pour certains, de pourvoir à d’autres besoins latents, non conscientisés à l’entrée dans le mentorat », peut-on lire dans le rapport. « Cela n’est pas toujours facile à détecter » dans les enquêtes déclaratives, affirme Jérome Gautié. En résumé, le rapport conclut à des impacts « globalement positifs et modérés » sur les jeunes, mis en regard avec des coûts « relativement modestes » par rapport à d’autres dispositifs d’accompagnement.  

 


Lire aussi : « Le mentorat a des effets positifs ; nous faisons des préconisations pour les améliorer » (Jérôme Gautié)  


 

La qualité du suivi, un facteur déterminant 

 

Pour améliorer les effets du mentorat, les auteurs du rapport formulent dix recommandations. Le suivi de la relation par les chargés de mentorat, par exemple, peut être « insuffisant », selon Jérôme Gautié. Il faut donc « mieux [le] structurer » et organiser systématiquement un entretien au début et à la fin de la relation.   

Sur ce sujet, les auteurs alertent aussi sur le « recours massif au service civique » par les associations pour le rôle de chargé de mentorat. Cela peut « nuire à la qualité et à la stabilité de l’accompagnement », indiquent-ils.  

Il faut aussi rendre les formations des mentors obligatoires, selon le rapport. Seuls 60 % d’entre eux en ont suivi, alors qu’elles sont importantes pour optimiser les effets de la relation et éviter d’éventuels impacts négatifs.  

 

Un label facultatif pour certifier des pratiques 

 

« Nous sommes très en phase avec les recommandations du rapport. Nous ne l’avons pas attendu pour identifier la prégnance de certains enjeux », réagit Nicolas Viennot, directeur général du Collectif Mentorat, structure réunissant 76 associations de mentorat, et membre du conseil scientifique en charge de l’évaluation du plan. 

Le collectif organise déjà des ateliers et des « sessions de codéveloppement » à destination des chargés de mentorat, sur des thématiques comme la gestion de la frustration d’un mentor ou d’un mentoré, ou la gestion de cas difficiles. 40 % des structures membres du collectif ont participé à l’une de ces sessions au premier semestre 2025. Il diffuse aussi des informations aux associations : par exemple, un document a été partagé récemment sur la clôture des binômes. Par ailleurs, il a conçu un module de formation pour les mentors.  

Le mois dernier, la structure a lancé un label facultatif pour « mesurer la qualité méthodologique d’un programme de mentorat ». Deux associations ont d’ores et déjà été labellisées, 19 ont entamé le processus de labellisation. Pour obtenir l’un des trois niveaux du label, une structure doit répondre à au moins 80 % des 47 standards de qualité définis par le collectif, puis être auditée.  

Ces standards portent sur toutes les étapes de la relation : recrutement, formation, mise en relation, suivi et clôture. Par exemple, certains concernent la durée minimale mensuelle des rencontres – aussi importante pour la satisfaction des mentors et les effets du mentorat –, la formation obligatoire des mentors ou l’obligation de suivi de la relation.  Ce label est une manière pour le collectif « d’accompagner les associations membres pour les encourager à être dans une dynamique d’amélioration continue, pour maximiser l’impact du mentorat pour les jeunes », soutient Nicolas Viennot.  

 

« Une vision asociale et dépolitisée de l’égalité des chances »

Les conclusions du plan rejoignent au moins en partie celles d’autres études menées sur le mentorat. « Les résultats relèvent plutôt de la satisfaction des mentors et des mentorés. Nous sommes plus mitigés sur les effets bruts et observables », explique Clémence Perronnet, co-autrice avec Claire Boivin et Paul Neybourger d’un article sur le sujet publié dans la revue Sciences et action sociale en 2023. En s’appuyant sur une revue de littérature, des entretiens et des enquêtes quantitatives, les auteurs concluent par ailleurs à des effets différenciés sur les mentorés en fonction des catégories socio-professionnelles auxquelles ils appartiennent. « Plutôt en défaveur des classes défavorisées », selon Clémence Perronnet.

Les auteurs jugent que le mentorat « laisse de côté la question des transformations institutionnelles et politiques indispensables à l’accès de tous et toutes à une réelle égalité des chances ». Il « véhicule (...) une vision asociale et dépolitisée de l’égalité des chances, axée sur du mérite individuel ». « L’idée n’est pas de remettre en cause le travail des associations sur le terrain, qui peut avoir des effets bénéfiques », souligne Clémence Perronnet. « Le problème est de remplacer d’autres politiques publiques de réponses à des problèmes sociaux. Cela n’a pas de sens de promettre du mentorat s’ils manquent de conseillers ou conseillères d’orientation, ou de psychologues scolaires par exemple », poursuit la sociologue.

Une autre étude, publiée dans le même numéro de revue à partir de l’évaluation de six dispositifs « s’apparentant à du mentorat », mais plus anciens que les dispositifs du plan, indique que « les évaluations ne permettent pas toujours de mettre en évidence des effets significatifs sur les résultats scolaires ». Les effets éventuels « bénéficient essentiellement aux meilleurs élèves ». En revanche, ils peuvent « améliorer la perception que les élèves ont de leurs propres capacités scolaires et présentent aussi un intérêt sur le plan de l’ouverture sociale et culturelle ».

Roxane Bricet, co-autrice de l’article avec Héloïse Lucas, revient sur les hypothèses formulées par les équipes ayant mené l’évaluation des dispositifs pour expliquer cette situation. D’une part, « ces accompagnements sont chronophages » : les élèves y consacrent du temps, plutôt qu’à leur scolarité directe. De plus, « ces élèves accompagnés, principalement issus de réseaux d’éducation prioritaire ou de quartiers prioritaires, sont encadrés par des tuteurs qui ne leur ressemblent pas, comme des étudiants de grandes écoles. Si l’idée est de leur rendre accessibles ces études, c’est l’effet inverse qui se produit », explique-t-elle. Le profil du mentor est une « condition favorable à ce que l’accompagnement produise des effets positifs », souligne encore l’économiste : son expérience en matière d’accompagnement est importante, ainsi que la proximité de ses goûts et centres d’intérêt avec ceux du mentoré. Le rapport du plan d’évaluation « 1 jeune 1 mentor » préconise sur ce sujet de « diversifier le profil des mentors », ceux-ci étant en majorité diplômés et issus de catégories sociales supérieures. « En même temps, cette mixité culturelle et sociale est importante » pour ouvrir les perspectives des jeunes, souligne Jérôme Gautié.

 

Célia Szymczak 

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