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Par Carenews INFO - Publié le 18 septembre 2025 - 16:13 - Mise à jour le 18 septembre 2025 - 19:04 - Ecrit par : Elisabeth Crépin-Leblond
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La « simplification » des politiques agricoles, un processus à rebours de la protection de l’environnement ?

Le 3 septembre, le Conseil de l’Union européenne a approuvé un ensemble de mesures visant à « simplifier la politique agricole commune », présentées par la Commission européenne en mai. Portant notamment sur des obligations environnementales, cette démarche de simplification était au cœur d’un débat mené dans le cadre des Rencontres de l’alimentation durable, organisées le 16 septembre à Paris par la Fondation Daniel et Nina Carasso.

De gauche à droite : Aurélie Catallo (Iddri), Olivier Dauger (FNSEA), Arnaud Schwartz (FNE),  Barthélémy Lanos (Commission européenne). Crédit : Carenews
De gauche à droite : Aurélie Catallo (Iddri), Olivier Dauger (FNSEA), Arnaud Schwartz (FNE), Barthélémy Lanos (Commission européenne). Crédit : Carenews

 

À l’heure de la simplification des normes, invoquée comme un mantra dans de récentes politiques économiques européennes et françaises, le secteur agricole n’échappe pas à la règle. Les manifestations des agriculteurs de janvier 2024 ont conduit cette année à l’adoption de plusieurs mesures, souvent plébiscitées par les syndicats majoritaires mais décriées par les associations environnementales.  

Parmi elles, la loi d’orientation « pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture » adoptée le 24 mars, amoindrit par exemple la peine des personnes physiques responsables d’atteinte à la protection des espèces animales ou des habitats naturels et restreint les interdictions concernant les produits phytopharmaceutiques. Plus récemment, la loi dite Duplomb « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » a, entre autres points, tenté d’acter la réintroduction de l’acétamipride – mesure censurée par la suite par le Conseil constitutionnel – et provoqué avec elle un vaste mouvement de contestations.  

De son côté, la Commission européenne a présenté en mai un ensemble de propositions, visant à « simplifier la politique agricole commune (PAC) » et « accroître la compétitivité des agriculteurs ». Ce deuxième volet, présentée en attente d’une réforme de plus grande ampleur pour la période 2028-2034, fait suite à un premier paquet de simplification, adopté par la Commission en 2024. Approuvé par le Conseil de l’Union européenne le 3 septembre, il doit désormais être soumis au Parlement européen. 

Tandis qu’en France, la pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb va être prochainement étudiée par l’Assemblée nationale, un débat a réuni trois acteurs d’horizons divers et a priori opposés, lors des Rencontres de l’alimentation durable, organisées le 16 septembre à Paris.

 

Un événement bisannuel organisé par la Fondation Daniel et Nina Carasso.

Les rencontres de l’alimentation durable ont été organisées mardi 16 septembre par la Fondation Daniel et Nina Carasso. Créée par la fille du fondateur de Danone en 2010, cette structure philanthropique qui se présente comme "familiale et indépendante de toute société commerciale" agit dans les domaines de l’art citoyen et de l’alimentation durable, en Espagne et en France.

Abritée par la Fondation de France, elle finance des projets associatifs de terrain et de recherche, et réalise de l’investissement à impact, grâce aux rendements des placements de sa dotation initiale de 500 millions d’euros réalisés selon une charte d’investissement.

En France, elle soutient par exemple les entreprises Poiscaille, Nous Anti-Gaspi, Coteaux nantais ainsi que certaines expérimentations de caisse commune d’alimentation. « Pour cette 5e édition des rencontres, nous avons essayé de joindre nos deux axes en incluant l’art. Nous voulons créer une impulsion pour convaincre au-delà des cercles de convaincus », explique son directeur général France, Benoît Mounier.

 

 

Les règles sur la production fragilisent l’agriculture européenne et française, tandis que les produits importés, notamment des pays du Mercosur et des États-Unis, ne sont pas soumis aux mêmes contraintes ».

Olivier Dauger (FNSEA).

  

Pour la FNSEA, simplifier est une nécessité dans un contexte concurrentiel mondial 

  

Intitulée « Simplification des politiques et normes agricoles : entre besoins et écueils », la table ronde faisait dialoguer Olivier Dauger, agriculteur et administrateur de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), chargé des dossiers climat, énergies et carbone, avec Arnaud Schwartz, agriculteur bio et vice-président de la fédération des associations de protection de la nature et de l’environnement France Nature Environnement (FNE), ainsi que Barthélémy Lanos, chargé de politique publique au sein de la direction générale agriculture et développement rural de la Commission européenne. 

« La demande de simplification n’est-elle qu’une une excuse pour faire adopter votre programme politique ? », pose d’emblée au représentant de la FNSEA Aurélie Catallo, directrice Agriculture France à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), en charge d’animer le débat.  

« 95 % des acteurs agricoles sont bien conscients de la réalité du climat. Mais les règles sont parfois en inadéquation avec la réalité de la nature. Il y a une rigidité qui pose des problèmes sur le terrain », défend Olivier Dauger en réponse. 

Le chargé des dossiers climat, énergies et carbone du syndicat agricole majoritaire français pointe du doigt une concurrence qu’il juge inadaptée, dans un contexte d’un marché de l’alimentation étendu au niveau mondial. « Les règles sur la production fragilisent l’agriculture européenne et française, tandis que les produits importés, notamment des pays du Mercosur et des États-Unis, ne sont pas soumis aux mêmes contraintes », dénonce-t-il. Quelques jours plus tôt, la FNSEA, opposée comme les autres syndicats agricoles au traité de libre-échange commercial entre les pays du Mercosur et l’Union européenne, ainsi qu’à l’accord sur les droits de douane conclu avec les États-Unis de Donald Trump, a annoncé une « journée d’action nationale » sur ces sujets le 25 septembre. 

 


À lire également : Déforestation, pesticides interdits, droits sociaux… Pourquoi le traité entre le Mercosur et l’Union européenne inquiète les associations 


  

La simplification de la PAC, une mesure pour améliorer la compétitivité ? 

  

De son côté, Barthélémy Lanos de la Commission européenne estime que la simplification sert surtout à « améliorer la compétitivité du secteur ». « Nous essayons de trouver un équilibre entre incitations et obligations. Le but est de donner un objectif clair tout en assurant la flexibilité de naviguer dans ce cadre », explique-t-il, se disant « très satisfait » des mesures élaborées par l’Union européenne. 

« Il y a quand même une compatibilité entre les demandes de simplification des agriculteurs et les administrations », assure-t-il. En 2024, à la suite des manifestations, la Commission a lancé une consultation publique, réalisant environ 300 entretiens avec des agriculteurs. « Sur le volet environnemental, il y avait un décalage assez fondamental entre les exigences de la PAC et la réalité du terrain », note-t-il.  

Pour y remédier, elle a donc introduit dans ses propositions un certain nombre de simplifications « sur le plan environnemental, mais pas uniquement », justifie-t-il. Cette simplification passe notamment par le passage de l’obligatoire à l’incitatif, en ce qui concerne le conditionnement des aides européennes à de « bonnes pratiques agroenvironnementales ». Concrètement, certaines exploitations sont exemptées de certaines règles environnementales pour percevoir les aides de l’UE, mais pourront en recevoir davantage si elles justifient d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. 

Les propositions contiennent également une « rationalisation des contrôles » grâce « à l’utilisation des satellites et la technologie », ainsi que l’introduction du principe « d’un seul contrôle sur place par an et par exploitation ». Les États membres bénéficieront également « d'une plus grande flexibilité dans l'adaptation de leurs plans stratégiques relevant de la PAC », indique la Commission, et les administrations nationales seront davantage encouragées à développer des systèmes numériques interopérables. 

 

Aujourd’hui, des coups sont partis, dont nous verrons les conséquences sur le climat et la biodiversité dans quelques temps ».

Arnaud Schwartz (FNE).

  

Pour la FNE, la simplification masque une « régression environnementale » 

  

« Prétendre faire simple, c’est parfois générer de nouveaux problèmes pour la suite », considère pourtant Arnaud Schwartz. Le vice-président de France nature environnement, dénonce l’absence d’évaluations préalables conduites dans le cadre du processus législatif mené par la Commission.  

« La politique agricole la plus efficace et la plus rationnelle n’est pas forcément la plus simple. Aujourd’hui, la simplification est une sorte de très mauvais cache-sexe pour la dérégulation et la régression environnementale », considère-t-il, pointant du doigt un changement d’orientation politique au sein des administrations européennes. 

 


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Pour le vice-président de France nature environnement et agriculteur bio, les réelles mesures de simplification nécessaires ne sont pas au rendez-vous, notamment en ce qui concerne la charge administrative pesant sur les exploitations. Il demande également davantage d’échanges dans la suite de l’élaboration des mesures. « Être juste dans l’incitatif ne fonctionne pas. C’est un vieux discours qui vient de l’industrie. Les filières agricoles se tirent des balles dans le pied en le reprenant », estime-t-il.  

Questionné par Aurélie Catallo sur l’éventuelle complexité administrative pouvant être induite par les demandes de France nature environnement, il répond : « Ce n’est pas à nous, en tant qu’association de protection de la nature et de l’environnement, de penser à tous les moindres détails administratifs. Notre compétence première est la compréhension de la nature pour pouvoir s’inscrire dans les cycles naturels ».  

 « Aujourd’hui, des coups sont partis, dont nous verrons les conséquences sur le climat et la biodiversité dans quelques temps », dénonce encore Arnaud Schwartz.

  

L’introduction de clauses miroirs dans les traités de libre-échange en question 

  

« Il n’y a pas une corrélation parfaite entre ce que veut le citoyen et le consommateur », souligne de son côté Olivier Dauger. Le représentant de la FNSEA cite l’exemple de l’objectif d’augmentation des surfaces cultivées en agriculture biologique à 21 % d’ici 2030, qu’il juge irréaliste à cause d’une hausse de la demande insuffisante. « L’agriculteur ne peut pas être le dernier maillon de la chaîne », appuie-t-il, appelant à « questionner la responsabilité des industriels ». 

 


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Présente dans la salle, Lorine Azoulai, la co-présidente du collectif Nourrir, qui milite pour la mise en place de politiques agricoles plus justes et plus écologiques, questionne : « Est-ce que la simplification ne devrait pas être une manière de protéger des pratiques agricoles plus ambitieuses, notamment par l’inclusion de clauses miroirs dans les traités internationaux ? ». Celles-ci visent à imposer les normes européennes aux produits agroalimentaires importés. Elles sont demandées par un certain nombre d’associations et de think tanks, notamment dans le cadre du traité en voie d’être conclu avec le Mercosur. 

« Un autre dossier est en cours de préparation pour éviter les pratiques commerciales trompeuses. Nous ne sommes pas certains que pointer du doigt les pays du Mercosur soient la bonne solution », répond Barthélémy Lanos. « L’Europe a tendance à privilégier l’export de ses voitures et de ses armes plutôt que son agriculture », dénonce de son côté Arnaud Schwartz. 

 

 

Élisabeth Crépin-Leblond  

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