« C’est la première fois qu’on en a à la cantine » : le Refugee food festival s’invite dans les écoles du 14e arrondissement de Paris
Le Refugee food festival fait collaborer chaque année des cuisiniers réfugiés avec des structures locales pendant plusieurs semaines de juin, dans différents endroits de France. Cette année, la cheffe nigériane Raimot Tijani a composé le menu d’un repas pour toutes les écoles publiques d’un arrondissement de Paris. Reportage.

Dans les locaux de l’école Delambre, située dans le 14e arrondissement de Paris, un bon fumet chargé d’épices se dégage dans l’atmosphère. Il est midi, et les élèves des sections maternelles et élémentaires remplissent à tour de rôle les différents réfectoires. La cour et le hall sont, eux, animés par les jeux et les répétitions du spectacle de fin d’année qui approche, composant une scène plutôt habituelle pour cet établissement scolaire parisien. À quelques détails près.
Ce jeudi 16 juin, l’ensemble des écoles publiques de l’arrondissement prennent part à la dixième édition du Refugee food festival. À cette occasion, la cheffe Raimot Tijani a élaboré le menu du jour. Dans l’assiette, la salade fraîche suya en entrée introduit le riz sauce jollof et poulet (ou haricots rouges pour l’option végétarienne), suivi d’un fromage blanc au lait de coco et à la mangue. Le tout est accompagné de bissap, une boisson élaborée à base de fleurs d’hibiscus. Des plats à la fois simples pour convenir aux jeunes palais des élèves et directement inspirés des racines nigérianes de Raimot Tijani, arrivée en France il y a une dizaine d’année et aujourd’hui cheffe de la Cantine des arbustes. Ce restaurant solidaire tenu par Refugee food est situé à la Porte de Vanves, à l’autre bout de l’arrondissement.
Le but du festival est de changer le regard sur les personnes réfugiées, en apportant de la joie et de la convivialité par la cuisine". Alice Delineau.
Le Refugee food festival : un moment pour réunir autour de la cuisine
« Le but du festival est de changer le regard sur les personnes réfugiées, en apportant de la joie et de la convivialité par la cuisine. Cette dernière est un formidable vecteur d’insertion, surtout en France », pointe Alice Delineau, responsable communication de l’association présente sur place. Durant plusieurs semaines du mois de juin, le Refugee food festival se déploie à travers des partenariats entre cuisiniers locaux et chefs et commis de l’association, un peu partout en France. « Nous investissons énormément d’endroits différents : des lieux collectifs comme des cantines et des centres communaux d’action sociale (CCAS), mais aussi des restaurants et des festivals », met en avant Alice.
Cette année par exemple, un partenariat a été noué avec le festival œno-bistronomique « Bienvenue en Beaujonomie », permettant d’organiser un repas franco-syrien dans les caves du Mont-Brouilly. Une autre collaboration avec le Café des ministères, à Paris, a donné naissance à un repas franco-tibétain, dans l’espoir de sensibiliser quelques élus. Enfin, pour cette dixième édition, des lieux culturels sont de la partie, sous le parrainage du dramaturge Alexis Michalik. « Il y a un enjeu à sortir des cercles associatifs pour avoir un impact dans tous les milieux », argumente la responsable de la communication.

« J’aime bien les initiatives qui viennent chez nous, c’est convivial »
Avec les autres membres de l’association, elle passe entre les tables pour expliquer la démarche aux élèves et les sensibiliser à la situation des personnes réfugiées, à l’aide de cocottes en papier. « Les enfants sont super réceptifs, ils posent beaucoup de question », se réjouit Juliette, une stagiaire de l’association, en train de discuter avec une classe de CM1.
À la vue des plateaux vides, les plats ont manifestement réussi à convaincre les enfants. « C’est la première fois que nous en buvons à la cantine », mentionne une élève en pointant du doigt le bissap. « J’ai bien aimé le repas. Ce sont des réfugiés qui préparent des plats de leurs pays », résume un autre, assis à côté d’elle.
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En comptant toutes les écoles, l’opération a concerné 8 000 repas. Pour la préparer, Raimot Tijani s’est rendue en amont dans les différents établissements afin de former les équipes des cantines. Le matin, elle leur a apporté les épices pour la recette du poulet. « Nous passons une belle journée. J’aime bien les initiatives qui viennent chez nous, c’est convivial », lance joyeusement Samira Atiellah, la cheffe des cantines de l’établissement. Avec les membres de son service, c’est elle qui s’est occupée de préparer le repas de l’école Delambre.
« Le festival est l’occasion de mettre en lumière un ou une cheffe de Refugee food. Pour ici, nous avons voulu que ce soit le moment de Raimot car elle aime particulièrement la cuisine collective. Nous lui avons proposé et elle a accepté », raconte Alice.
Pour la Caisse des écoles : l’occasion de mettre en valeur le travail des personnes réfugiées
Depuis dix ans, Refugee food embauche des personnes réfugiées à des postes de chefs et de commis de cuisine, pour favoriser leur insertion dans la société française. La structure comporte à la fois une entreprise d’insertion, proposant un service traiteur à des entreprises, et une association. Cette dernière propose des repas à destination des personnes en situation de précarité qu’elle sert directement, à la Cantine des arbustes et à la Cité de refuge, ou qu’elle fournit à d’autres associations pour les distribuer. « Nous défendons une alimentation durable pour tous et pour toutes », met en avant Alice Delineau. « L’entreprise d’insertion génère des bénéfices qui sont ensuite réinjectés dans l’association. Cette dernière bénéficie en plus de fonds privés et publics », explique-t-elle.
Toujours dans un objectif d’insertion par la cuisine, Refugee food a aussi ouvert des écoles, à Nantes, Paris et Marseille, proposant de former des personnes ayant le statut de réfugié. La formation de commis de cuisine, intitulée « Tournesol », est dispensée à des promotions de douze personnes, deux fois par an, tandis que « Romarin » propose un programme préqualifiant de trois mois.
Du côté de la caisse des écoles, la participation au festival est l’occasion de mettre en valeur le travail des personnes réfugiées dans les établissements. « Sans les personnes étrangères, les services publics scolaires ne tourneraient pas. Il y a un vrai travail à faire pour visibiliser leurs apports », considère Patrick Lafollie, le directeur de la Caisse des écoles du 14e arrondissement.
Élisabeth Crépin-Leblond